Guy du Faur de Pibrac
Quatrains


V.
Ne va disant, ma main a faict cest œuvre,
Ou ma vertu ce bel œuvre a parfaict :
Mais dis ainsi, Dieu par moy l'œuvre a faict,
Dieu est l'autheur du peu de bien que i'œuvre.

VI.
Tout l'vniuers n'est qu'vne cité ronde,
Chacun a droict de s'en dire bourgeois,
Le Scythe & More autant que le Gregeois,
Le plus petit que le plus grand du monde.

VII.
Dans le pourpris de cette cité belle
Dieu a logé l'homme comme en lieu sainct,
Comme en vn Temple, où luy mesmes s'est peinct
En mil endroicts de couleur immortelle.

VIII.
Il n'y a coing si petit dans ce temple
Où la grandeur n'apparoisse de Dieu :
L'homme est planté iustement au milieu,
A fin que mieux par tout il la contemple.

IX.
Il ne sçauroit ailleurs mieux la cognoistre
Que dedans soy, où comme en vn miroir
La terre il peut & le ciel mesme voir,
Car tout le monde est compris en son estre.

XXIIII.
De l'homme droict Dieu est la sauuegarde :
Lors que de tous il est abandonné,
C'est lors que moins il se trouve estonné,
Car il sçait bien que Dieu lors plus le garde.

XXXI.
Iusqu'au cercueil, mon fils, vueilles apprendre,
Et tien perdu le iour qui s'est passé,
Si tu n'y as quelque chose amassé,
Pour plus sçavant & plus sage te rendre.

XXXIIII.
Ce que tu peux maintenant, ne differe
Au lendemain comme les paresseux :
Et garde aussi que tu ne sois de ceux
Qui par autruy font ce qu'ils pourroient faire.

XXXIX.
La Verité d'vn Cube droict se forme,
Cube contraire au leger mouuement :
Son plan quarré iamais ne se dément,
Et en tout sens a tousiours mesme forme.

XLVII.
Vaincre soymesme est la grande victoire :
Chacun chez soy loge ses ennemis,
Qui par l'effort de la raison soubmis,
Ouuvrent le pas à l'eternelle gloire.

XLIX.
L'homme est fautif : nul viuant ne peut dire
N'auoir failly : és hommes plus parfaicts,
Examinant & leurs dicts & leurs faicts,
Tu trouueras, si tu veux, à redire.

LI.
Cacher son vice est vne peine extréme,
Et peine en vain : fay ce que tu voudras,
A toy au moins cacher ne te pourras :
Car nul ne peult se cacher à soy mesme.

LII.
Aye de toy plus que des autres honte,
Nul plus que toy par toy n'est offensé :
Tu dois premier, si bien y as pensé,
Rendre de toy à toy mesme le compte.

LIII.
Point ne te chaille estre bon d'apparence,
Mais bien de l'estre à preuve & par effect :
Contre vn faulx bruit que le vulgaire faict,
Il n'est rampart tel que la conscience.

LIIII.
A l'indigent monstre toy secourable,
Luy faisant part de tes biens à foison :
Car Dieu benit & accroit la maison
Qui a pitié du pauure miserable.

LV.
Làs ! que te sert tant d'or dedans ta bourse,
Au cabinet maint riche vestement,
Dans tes greniers tant d'orge & de froment,
Et de bon vin dans ta cave vne source :

LVI.
Si ce pendant le pauure nud frissonne
Deuant ton huys, & languissant de faim,
Pour tout en fin n'a qu'vn morceau de pain,
Ou s'en reua sans que rien on luy donne ?

LVII.
As tu, cruel, le cœur de telle sorte,
De mespriser le pauure infortuné,
Qui, comme toy, est en ce monde né,
Et, comme toy, de Dieu l'image porte ?

LXII.
Qui lit beaucoup, & iamais ne medite,
Semble à celuy qui mange auidement,
Et de tous mets surcharge tellement
Son estomach, que rien ne luy profite.

LXXIV.
Parler beaucoup on ne peut sans mensonge,
Ou pour le moins sans quelque vanité :
Le parler brief convient à verité,
Et l'autre est propre à la fable & au songe.

LXXVI.
Comme l'on voit, à l'ouurir de la porte
D'vn cabinet Royal, maint beau tableau,
Mainte antiquaille, & tout ce que de beau
Le Portugais des Indes nous apporte :

LXXVII.
Ainsi deslors que l'homme qui medite,
Et est sçavant, commence de s'ouurir,
Vn grand thresor vient à se descouurir,
Thresor caché au puis de Democrite.

LXXVIII.
On dict soudain, voila qui fut de Grece,
Cecy de Rome, & cela d'vn tel lieu,
Et le dernier est tiré de l'Hebrieu,
Mais tout en somme est remply de sagesse.

C.
Ie t'apprendray, si tu veux, en peu d'heure,
Le beau secret du breuuage amoureux :
Ayme les tiens, tu seras aymé d'eux.
Il n'y a point de recepte meilleure.

CV.
Ne voise au bal, qui n'aymera la danse,
Ny au banquet qui ne voudra manger,
Ny sur la mer qui craindra le danger,
Ny à la Cour qui dira ce qu'il pense.

CXIII.
L'estat moyen est l'estat plus durable :
On voit des eaux le plat pays noyé,
Et les hauts monts ont le chef foudroyé :
Vn petit tertre est seur & agreable.

CXIIII.
De peu de biens nature se contente,
Et peu suffit pour viure honnestement :
L'homme ennemy de son contentement,
Plus a & plus pour auoir se tourmente.

CXVII.
L'homme se plaint de sa trop courte vie,
Et ce pendant n'employe où il deuroit
Le temps qu'il a, qui suffir luy pourroit,
Si pour bien viure auoit de viure enuie.

CXVIII.
Tu ne sçaurois d'assez ample salaire
Recompenser celuy qui t'a soigné
En ton enfance, & qui t'a enseigné
A bien parler, & sur tout à bien faire.

CXIX.
Es ieux publics, au theatre, à la talbe,
Cede ta place au vieillard & chenu :
Quand tu seras à son aage venu,
Tu trouueras qui fera le semblable.

CXXI.
Boire, & manger, s'exercer par mesure,
Sont de santé les outils plus certains :
L'excez en l'vn de ces trois, aux humains
Haste la mort, & force la nature.

CXXIIII.
En bonne part ce qu'on dit tu dois prendre
Et l'imparfaict du prochain supporter,
Couurir sa faulte, & ne la rapporter,
Prompt à louer, & tardif à reprendre.

CXXV.
Cil qui se pense & se dit estre sage,
Tien le pour fol, & celuy qui sçavant
Se faict nommer, sonde le bien auant,
Tu trouueras que ce n'est que langage.

CXXVI.
Plus on est docte, & plus on se deffie
D'estre sçauant : & l'homme vertueux
Iamais n'est veu estre presomptueux.
Voila des fruicts de ma philosophie.

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