Le rondeau (ou rondel)

Le rondeau est une forme amplifiée du triolet. Les exemples ci-dessous, mis en couleurs, permettront de comprendre ce système plus facilement qu'une explication.

Dans son ensemble, le rondeau est formé de huit parties, qui sont groupées par paires pour obtenir quatre strophes. Très souvent, chaque partie contient deux vers, et on a alors seize vers au total, qui sont répartis en quatre quatrains.

En raison notamment des contraintes imposées par les rimes masculines et féminines, la musique d'un rondeau est faite de deux parties (A et B), qui s'enchaînent de la manière suivante:

AB  AA  AB  AB

Le rondeau est pratiqué sous cette forme entre le XIIIe et le XVe siècle (voir les musiques de Adam de la Halle, Guillaume de Machaut, Gilles Binchois, Guillaume Dufay). A partir du XVIe siècle, sa structure se transforme, comme il sera expliqué plus bas (rondeau nouveau).



Le temps a laissé son manteau

Texte : Charles d'Orléans
Musique : Gaël Liardon

Le temps a laissié son manteau
De vent, de froidure et de pluye,
Et s'est vestu de brouderie
De soleil luyant cler et beau.

Il n'y a beste ne oyseau
Qu'en son jargon ne chante ou crie:
Le temps a laissié son manteau
De vent, de froidure et de pluye.

Riviere, fontaine et ruisseau
Portent, en livree jolie,
Gouttes d'argent d'orfaverie;
Chascun s'abille de nouveau.

Le temps a laissié son manteau
De vent, de froidure et de pluye,
Et s'est vestu de brouderie
De soleil luyant cler et beau.

Charles d'Orléans (1394-1465)


A ce jour de Saint Valentin

Texte : Charles d'Orléans
Musique : Gaël Liardon

A ce jour de Saint Valentin
Que chascun doit choisir son per,
Amours, demourray je non per,
Sans partir a vostre butin?

A mon resveillier au matin,
Je n'y ay cessé de penser,
A ce jour de Saint Valentin
Que chascun doit choisir son per.

Mais Nonchaloir, mon medicin,
M'est venu le pouse taster,
Qui m'a conseillié reposer
Et rendormir sur mon coussin.

A ce jour de Saint Valentin
Que chascun doit choisir son per,
Amours, demourray je non per,
Sans partir a vostre butin?

Charles d'Orléans (1394-1465)


Deux ou trois couples d'Ennuys

Texte : Charles d'Orléans
Musique : Gaël Liardon

Deux ou trois couples d'Ennuys
J'ay tousjours en ma maison;
Desencombrer ne m'en puis,

Quoy qu'a mon povoir les fuis
Par le conseil de Raison.
Deux ou trois couples d'Ennuys
J'ay tousjours en ma maison.

Je les chasse d'ou je suis,
Mais en chascune saison
Ilz rentrent par ung autre huis.

Deux ou trois couples d'Ennuys
J'ay tousjours en ma maison;
Desencombrer ne m'en puis.

Charles d'Orléans (1394-1465)


Par lez portes dez yeulx et dez oreilles

Texte : Charles d'Orléans
Musique : Gaël Liardon

Par lez portes dez yeulx et dez oreilles,
Que chascun doit bien sagement garder,
Plaisir mondain va et vient sans cesser
Et raporte de diverses merveilles.

Pource, mon cueur, s'a Raison te conseilles,
Ne le laissez point devers toy entrer
Par lez portes dez yeulx et dez oreilles,
Que chascun doit bien sagement garder.

A celle fin que par lui ne t'esveilles,
Veu qu'il te fault desormais reposer.
Dy lui : "Va t'en, sans jamais retourner!
Ne revien plus, car en vain te traveilles."

Par lez portes dez yeulx et dez oreilles,
Que chascun doit bien sagement garder,
Plaisir mondain va et vient sans cesser
Et raporte de diverses merveilles.

Charles d'Orléans (1394-1465)

Les exemples ci-dessus présentent le texte complet, mais dans les sources, les reprises sont abrégées:

Par lez portes dez yeulx et dez oreilles,
Que chascun doit bien sagement garder,
Plaisir mondain va et vient sans cesser
Et raporte de diverses merveilles.

Pource, mon cueur, s'a Raison te conseilles,
Ne le laissez point devers toy entrer
Par etc.,

A celle fin que par lui ne t'esveilles,
Veu qu'il te fault desormais reposer.
Dy lui : "Va t'en, sans jamais retourner!
Ne revien plus, car en vain te traveilles."
Par etc.

Curieusement, à partir du XVIe siècle, ces abréviations donnent naissance à une nouvelle forme de rondeau, qui ne semble pas destinée à être mise en musique. Le Goffic et Thieulin le nomment "rondeau nouveau" (Nouveau traité de versification française, 1903):

De l'amour ardant

Au feu qui mon cueur a choisy,
Jectez y, ma seule Deesse,
De l'eau de grace et de liesse,
Car il est consommé quasy.

Amours l'a de si près saisy,
Que force et qu'il crie sans cesse
            Au feu !

Si par vous en est dessaisy,
Amours luy doint plus grand destresse
Si jamais sert aultre maistresse :
Doncques, ma dame, courez y
            Au feu.

Clement Marot (1496-1544)